Le Puy-en-Velay en Haute-Loire (Auvergne-Rhône-Alpes)

Depuis ce week-end de Pentecôte 1973 où je débarquais à Pont-de-Montvert, sur mon attachement absurde à ce morceau de météorite qu'est le sud de la Lozère.

 

Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert

Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert

Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert 1Avant Le Pont-de-Montvert, les parois rocheuses surplombant la route longeant le Tarn brillent des grandes cascades de glace qu’ont formées les eaux de ruissellement et le froid polaire de ces derniers jours. Rituellement : brève halte au village.

C’est mon frère qui m’a fait connaître Le Pont-de-Montvert, il y a plus de quarante ans déjà… Comment lui-même avait-il découvert ce coin de Lozère ? Je ne sais plus trop ; il se baladait beaucoup, il aimait conduire. Nous avons pêché ensemble dans le coin durant des années, puis Tarn s’est marié, il est parti vivre dans le sud-ouest, près de ces Pyrénées auxquelles il s’était attaché puissamment et près desquelles la mort l’a saisi. Il devait avoir cinq ou six ans quand il est entré dans notre famille, laissant derrière lui son Vietnam natal et ses plus mauvais souvenirs. Tarn vint grandir avec nous, cahin-caha. Il me voyait souvent préparer mes sorties, et son regard s’allumait quand je déballais tout ce petit matériel : pinces, hameçons, bobines de fils, plumes, flotteurs.

Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert 2Un jour il insista pour m’accompagner au bord de l’eau… Le soin méticuleux, l’ingéniosité et la patience faisaient partie de ses qualités natives : il aura été un pêcheur extraordinaire. Mais il y avait aussi chez ce gars un inépuisable esprit de compétition : notre complicité n’était jamais tout à fait ce que j’aurais aimé qu’elle fût. Pourtant son amour de la pêche et de la nature était profond, et je me souviens avec émotion de nos échanges au bord du Tarn.

J’ai souvent réfléchi, depuis ce week-end de Pentecôte 1973 où je débarquais à Pont-de-Montvert, sur mon attachement absurde à ce morceau de météorite qu’est le sud de la Lozère. Aurais-je pu y vivre ? Je ne sais pas ; plus haut oui, vers Mende et la vallée du Lot, l’Aubrac et la Margeride, très certainement. Mais les Cévennes ont quelque chose de terrible dans leur géographie. Jean Carrière décrit tout ça admirablement dans L’Épervier de Maheux. Et pourtant j’aime ce pays : les Cévennes ce sont d’abord les Cévenols, je me comprends. Le paysage a un pouvoir sur l’âme des gens, mais pas toujours logique. Par exemple, les Alpes provençales sont splendides et aérées, mais leurs villages sont durs. Les Cévennes, au contraire, ont des paysages rudes et parfois laids, mais leurs habitants sont bons.

Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert 5Je me souviens de cette veillée vers la fin des années quatre-vingt, par là, dans un gîte rural au bord du Rieumalet. Des flammes roses dansaient sur les braises, éclairant nos profils. On se souriait. À un moment, la soirée fut consacrée aussi au souvenir de Paul que certains parmi nous connurent bien. Je l’avais rencontré un soir de juin, deux ou trois ans plus tôt. Nous revenions tous deux de la pêche. À l’abord, rien de plus austère et de plus parfaitement sympathique que ce mètre quatre-vingts de Parigot taiseux, maigre comme un coucou, à la voix très basse.

Au Café du Commerce, nous avions bu de la bière en décortiquant des pistaches. J’avais été frappé par les mots que Paul choisissait pour décrire, souligner la révélation qu’avait été pour lui la sauvagerie de ces landes celtiques, la violence de leurs torrents et la douceur de leurs ruisseaux. C’était cinq ou six ans plus tôt. Il venait de Paris où il exerçait une profession libérale dont je ne me souviens plus. Passionné de pêche à la mouche, il voulait découvrir le Tarn et le Lot dont il parlait comme faisant partie des plus belles rivières à truites d’Europe. Je sus plus tard qu’il s’agissait aussi pour lui de guérir du souvenir d’une femme.

Il débarqua donc un matin d’avril, et à la stupéfaction de tous, il resta là, il ne rentra pas à Paris. Tout ce qu’un romanesque de convention peut imaginer y passa, même quelques nuits à la belle étoile. Il vécut dans un gîte d’étape avec un peu d’argent, le linge qu’il avait amené dans une vieille valise et sa Peugeot déglinguée… Mais il avait trouvé son lieu.

Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert 4Il fit des petits boulots, répara des murs de clôture, garda des bêtes, entretint des voitures, il donna même quelques leçons de pêche à la mouche ; enfin, il passa avec succès un modeste concours d’ouvrier à la Voirie départementale et loua une petite maison dans le village. Cette volte-face sociale suffit bien entendu à lui assurer une vraie gloire dans la région. Mais ce sont aussi ses talents de pêcheur qui l’ont fait connaître. Je sais de quoi je parle.

Je garde au moins deux souvenirs précis de nos sorties sur le Tarn : un jour, un soir de mai, je l’avais suivi dans ce défilé terrifiant en aval de La Malène où, par endroits, le Tarn se pulvérise sur des blocs de granit hauts de trois mètres. Un orage se préparait sur Finiels, le ciel était noir. À dix-huit heures, sur la petite route longeant les gorges au-dessus de nous, on voyait des voitures rouler phares allumés. C’était extraordinaire : il fallait voir ce garçon avancer dans l’eau surpuissante du torrent, de l’écume jusqu’au ventre, titubant, trébuchant sans quitter de l’œil le tourbillon où la truite moucheronnait puis, le poisson ferré, reculer lentement vers la rive pour épuiser sa prise. La manœuvre est délicate, Norman Maclean dans son livre et Robert Redford dans son beau film l’ont parfaitement décrite.

Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert 5Une autre fois, à la fin de l'été il me semble, nous décidons d'aller faire le « coup du soir» du côté de Bédouès. Les doigts encore noirs d'avoir cueilli des myrtilles nous avions monté nos soies et choisi nos mouches ; j'hésitais : les eaux étaient basses, très claires... Pour pêcher à la mouche Paul ne se servait que de soies naturelles couleur de miel. Je crois qu'il les achetait chez Dubos, dans l'île Saint-Louis. Une fois par an, en fin de saison, il les nettoyait délicatement à l'eau tiède légèrement savonneuse, puis les mettait à sécher sur le dos d'une chaise avant de les graisser comme il est recommandé de le faire dans tous les bons manuels spécialisés.

Il voulut voyager : son administration l'autorisa à prendre une année de congé sans solde et il partit en Angleterre où je ne sais quels travaux saisonniers lui permirent de gagner beaucoup d'argent. Il y rencontra aussi Nathalie et l'épousa. Revenus vivre dans les Cévennes ils achetèrent une petite maison adossée au temple et entourée de rosiers. Ils y ont recréé ce prodigieux cadre de vie à l'anglaise : des tapisseries fanées, des rayonnages pleins de livres et de disques, de vieux meubles dépareillés, des gravures anciennes, des cartes géographiques, des aquarelles et des dessins animaliers.

Un jour, Paul m'offrit un exemplaire du petit livre — des carnets de pêche — qu'il avait publié à compte d'auteur : cinquante pages pleines de « voiles de neige », de « givre matinal », de « soleil doux », de « brouillard sombre »... J'avais lu ces lignes à ma manière, et j'aurais pu, j'aurais dû, m'abstenir de ce commentaire un peu trop ému qui me valut un temps la méfiance amusée de mes amis. Quand les hasards de mes voyages m'amènent à traverser la région, même si je n'ai pas le temps d'aller les voir je m'arrête toujours quelques instants au bord d'un pré ou d'un ruisseau pour écouter le vent dans les sapins, pour regarder la lumière étendre ses bras en gloire sur la lande déserte. par Patrick Heurley. En temps et lieux: Brouillard d'automne. 6 Brouillard d'automne au Pont-de-Montvert

 

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